mardi 14 juillet 2015

Accompagner un enfant dans la perte brutale d'un parent ... Du vécu.

Je reprends ma plume après plusieurs mois de silence en des circonstances peu rejouissantes.
L’une de mes amies vient de perdre son mari d’une mort soudaine et se retrouve du jour au lendemain seule avec ses deux enfants.
Une amie commune m’a demandé de lui parler de mon expérience afin de mieux comprendre ce qui pouvait se passer dans la tête des enfans qui perdent l’un de leur parents d’une mort innattendue.
Je lui ai donc répondu qu’il me fallait un peu de temps pour répondre car je ne voulais pas le faire dans la précipitation... Puis je me suis dit que ce genre d’écrit pouvaient servir à d’autres personnes et que c’était l’occasion parfaite pour renouer avec mon clavier et mon blog trop longtemps délaissé.

Ce qui se passe dans la tête d’un enfant qui perd l’un de ses parents du jour au lendemain je peux en parler car j’avais 15 ans lorsque j’ai retrouvé mon père inconscient un midi comme tous les autres midis, alors que je rentrais de l’école pour déjeuner avec lui.
Tout s’est passé très vite... le médecin, les ambulances, l’arrêt cardiaque...
Le matin tout allait bien, le midi il partait à l’hopital, le lendemain je n’avais plus de papa.
Rupture d’anévrisme. Cela ne pardonne pas selon les médecins.

Quand on a 15 ans... Que les seules confrontations avec la mort furent celle du cochon dinde et du chien de la famille et qu’elles étaient déjà terribles à vivre, on ne réalise pas tout de suite.

Il y a d’abord ce sentiment de cauchemard qui n’en finit pas, cette envie, ce besoin de crier , de hurler parce que peut-être alors on se reveillera de ce mauvais rêve qui semble ne pas vouloir s’arrêter!

Les heures, les jours et les nuits se succèdent et on réalise petit à petit ce qui vient de se passer.
On réalise surtout par le comportement de nos proches qui envahissent la maison et prennent d’assault le téléphone, inquiets de notre état, alors ils veulent avoir des nouvelles savoir ce qu’ils peuvent faire.
Et même si il est bon de se sentir aimé et entouré par nos proches moi la seule chose que je voulais c’était la paix!
Je voulais pouvoir continuer de faire semblant que tout allait bien.
 Je ne voulais voir personne et surtout pas tous ces gens heureux qui avaient encore leur papa alors que moi la vie venait de me prendre le miens!

Je n’ai pas compris pourquoi.
C’est à cette période que j’ai appris que juste la vie était faite ainsi, chaque jours des enfants naissent et des hommes et des femmes meurent sans qu’il n’y ait forcément une explication... Je ne voulais d’ailleurs rien entendre sur le sujet et toutes les paroles rassurantes et bienveillantes de mon entourage ne m’atteignaient même pas !
¨Pour moi c’était juste dégueulasse et profondément injuste !
Mon papa était un homme merveilleux ... Ce n’est pas la petite fille qui le disait... C’était la centaine de patients qu’il avait et qu’il soignait la plus grande partie de son temps bénévolement dans les pires quartiers de la ville... Qui allait s’occuper de tous ces gens si il n’était plus là ? Pourquoi l’avoir pris lui alors qu’il faisait tant de bien autour de lui ?
Puis vient l’enterrement, la messe dans une église qui ne veut plus rien dire à mes yeux...
Comment croire en un Dieu lorsque l’on traverse des épreuves pareilles ? Quel Dieu ferait subir celà à des enfants ?
Ce jour là je me suis fâchée avec lui pour de longues années... D’ailleurs ce n’est même pas avec lui que je me suis réconciliée plus de 20 ans plus tard mais  avec la spirtualité au sens plus général.

Alors à l’époque,  j’ai passé mes journées avec mes copines pour essayer de faire comme si rien n’avait changé.
Essayer de faire comme si j’avais encore un papa qui allait rentrer à la maison bientôt...
Essayer de faire comme si ma vie n’allait pas changer du tout au tout maintenant qu’il faudrait vivre avec l’énorme gouffre de son absence laissé dans mon coeur.
Essayer de faire comme si je n’étais pas morte de trouille...

Bien sûr le temps qui passe guérit les blessures... Mais il reste des cicatrices et des séquelles... Et certaines sont plus vilaines que d’autres.
Il y en a même que l’on traine pendant des dizaines d’années et que je soupçonne de ne jamais disparaître...
Et puis il y a celles que l’on croyait enfouie à jamais et qui ressurgissent sans prévenir comme çà, en apprenant un autre décés soudain... Comme cette fois.

Il y a d'abord le doute permanent qui nous rappelle que rien n'est acquis, JAMAIS.
Que quelque chose peut être un jour et ne plus être le lendemain. Et cela ne s'étale pas qu'à la vie ou la mort parce que c'est la base de la confiance qui a été ébranlée et que la confiance concerne bien de des domaines comme les relations humaines ou la gestion du quotidien. De là nait un besoin permanent d'être rassuré... un besoin insatiable. Un besoin irrationnel dont on a conscience mais que l'on ne contrôle pas.

Et puis, parmi ces cicatrices la pire et sans doute la plus vicieuse est une perte de confiance totale en l’espérance de vie et envers le cours normal des choses qui voudrait que les parents partent avant les enfants, que les personnes âgées meurent avant les plus jeunes...

Il faut savoir qu'après un tel choc, plus aucune journée ne sera jamais pareille.
Quand on est enfant, Papa et Maman sont TOUT.
Ils sont déjà les dernières personnes que l'on imagine pouvoir mourir un jour, ils sont  la famille la plus proche, mais ils sont aussi les repères, les poteaux sur lesquels s’appuyer lorsque l’on grandit, ils sont les guides de chaque côté du chemin pour veiller à ce que l’on ne s’égare pas en grandissant, ils sont la sécurité financière, alimentaire, la survie... C’est con à écrire mais c’est pourtant l’un des besoins fondamentaux

Chaque matin je me reveillais avec l’angoisse de me dire que durant cette journée à venir, c’était peut-être ma mère qui serait la suivante sur la liste et qu’alors je n’aurais plus personne pour veiller sur moi. Plus personne pour subvenir à mes besoins...Si minces furent-ils.
Chaque soir je me couchais en remerciant la Vie de m’avoir laissé ma maman une journée de plus.

Très vite, j’ai tenté de me rassurer à tous prix... je me suis renseignée et avais découvert qu’une fois à l’âge de 16 ans, si il lui arrivait malheur je pourrais demander une émancipation et eviter le placement en famille d’accueil. Mais je n’aurais été réellement à l’abri qu’une fois majeure.
Alors j’ai commencé le décompte...De mes 15 à mes 18 ans j’ai tenu un décompte rigoureux des jours qu’il me restait à vivre dans cette incertitude et dans la peur...
Si les ados attendent généralement leur 18 ans avec impatience pour pouvoir passer leur permis de conduire, avoir le droit de boire de l’alcool légalement ou faire une super fête, moi j’attendais juste le jour ou la vie pourrait me prendre ma maman sans que ma vie s’écroule plus encore.

Et cette peur ne se limitait pas à la perte de ma maman mais plus précisément de toutes les personnes que j’aimais.
Ben quoi? Je savais moi de quoi la vie était capable! Et elle était capable de prendre comme ça du jour au lendemain les personnes que l’on aimait le plus au monde!!!

Alors pour pallier à ma façon à cette angoisse qui me rongeait au plus profond de moi j’ai commencé à développer des Troubles obsessionnels compulsifs , plus connus sous le nom de T.O.C...

C’est tout con ... Vicieux, insidieux... Ca commence un matin ou on se dit que si tout est bien rangé, bien carré, bien nickel il n’arrivera rien à ceux que l’on aime... Le soir on se rend compte qu’il ne s’est rien passé et le cerveau fait le lien “Bon OK il ne s’est rien passé...Donc demain tu remets ça...”
Mais très vite cela ne suffit plus, parce que pour qu’il n’arrive pas malheur à nos proches il faut se donenr du mal, il faut en faire un peu plus, toujours plus... Les objets doivent désormais se trouver à intervalles réguliers...au milimètres près, rangés du plus petits au plus grand, du plus gros au plus mince, du plus foncé au plus clair...Et surtout, rien ne doit déroger...
Si je ne pouvais pas contrôler l’incontrolable je devais le reprendre le contrôle de tout ce qui m’entourre.
C’est la règle, le prix à payer pour que tout aille bien  et cela fonctionne... tout va bien ! Chaque soir je me couchais rassurée, sans me rendre compte que chaque soir j’étais un peu plus prisonnière que la veille.

Et puis arrivent les 18 ans tant attendus. Cette journée censée être de fête est un soulagement immense, tellement immense que toutes les tensions se relachent et qu’on en profite à peine.
Et le lendemain on réalise qu’en fait rien n’a changé... Les peurs et les angoisses sont toujours là.
Un peu moins forte parce que j’étais devenue majeure et que mes études se terminaient, je pourrais désormais subvenir seule à mes besoins vitaux... Mais elles étaient bien là chaque jour.

Et puis j’ai rencontré celui qui est devenu l’homme de ma vie...
Et là tout a basculé à nouveau. Parce qu’au fond de soi il y a un lien perfide qui s’est crée... Un lien qui dit que  “Ceux que tu aimes, la vie te les prends”...
Le mieux est de ne pas aimer....Sauf que voilà on ne choisit pas ces choses là.
Alors il n’y a qu’une solution... plus on aime fort, plus il faut faire d’effort pourqu’il n’arrive rien à notre bien aimé... Et les TOC redoublent. Jusqu’à la crise d’hystérie si quelqu’un ose déplacer quelque chose.
Bien sûr il y a la prise de conscience... l’envie d’aller mieux et pour autant l’intuition que ce n’est pas possible... Que la vie nous a marqué au fer rouge.
Après quelques séances de psychotérapie et beaucoup de travail sur moi à la maison avec un homme d’une patience d’ange, les troubles se sont estompés...et ont presque disparus... Presque parce que dès que le corps se retrouve confrontés à des angoisses, l’esprit lui se souvient très bien de ce mécanisme pervers pour les apaiser.... ne fut-ce que dans un premier temps.
 Et plus de 20 ans plus tard la vigilence reste de mise.

A l’époque, je me suis soignée.... Thérapie cognitive ils appellent ça les psy...
Il faut prendre conscience que tout peut aussi bien se passer si on ne fait pas toutes ces choses ridicules et pour cela les supprimer une à une... C’est terrifiant à vivre mais je l’ai fait par amour et par instinct de survie.

Néanmoins l’angoisse n’est jamais très loin.
J’ai un mari qui a connu les crises d’hystérie parce qu’il avait 1 heure de retard et qu’il ne m’avait pas prévenu et qu’il n’était pas joignable...
Il avait eu un ennui sur la route dont il n’était pas responsable et n’aurait pas imaginé qu’en une heure moi je l’avais vu mort plus de cent fois !
Que c’était sûr ! La Vie avait remis ça ! Et de toutes façons c’était normal puisque je l’aimais et que cela faisait bien longtemps que l’on ne m’avait pris personne...

Aujourd’hui encore, plus de 23 ans plus tard, ces angoisses restent là.
Mes proches savent qu’au moindre retard il faut me prevenir, ils savent que si ils prennent la route, il leur faut m’envoyer un sms à leur arrivée parce que lorsque les angoisses reviennent, la raison est balayée... Alors souvent je reçois des sms dans la nuit de mes copines ou de ma soeur quand elles prennent la route et lorsque je me réveille à 2 ou 3 heures du matin, je les sais en sécurité et peux alors me rendormir apaisée.
Un simple sms pour certains et l'apaisement pour moi.
Parce que si je parviens à me raisonner quelque peu, très vite mes démons reviennent me rappeler les proches que j’ai perdus durant toutes ces années sur la route ou ailleurs. Parce qu’ils ont croisés le chemin d’un homme ivre qui avait pris le volant malgré tout, parce qu’ils étaient juste au mauvais endroit, au mauvais moment ou juste parce que leur heure était venue.
 Parce que si la vie ne tient qu’à un fil, tous les fils ne se valent pas.

Alors c’est sûr qu’écrit comme ça, cela semble assez terrifiant comme quotidien et cela l’est je vous le confirme.
Néanmoins il y a un revers à cette médaille peu reluisante...
Et le revers lui est bien plus positif...

Car la prise de conscience de la mort imminente éventuelle rend la vie bien plus vivante !
Je le dis souvent... La vie est un cadeau !!!
Et en avoir une conscience aigüe permet de savourer  même les plus petits bonheurs et les joies les plus simples avec plus d’intensité.
La conscience que tout peut s’arreter du jour au lendemain pousse a faire toutes ces choses que l’on hésite à faire...A dire toutes ces choses que l’on hésite à dire...
Parce que je sais que demain tout peut s’arrêter pour moi comme pour mes proches, il ne se passe pas une journée sans que je leur dise que je les aimes... A quel point ils sont précieux pour moi, à quel point leur présence à mes côtés m’aide à devenir une meilleure personne.
L’adage dit que dans la vie il vaut mieux avoir des remords que des regrets...
Et moi je veille chaque jour à n’avoir aucun regret.
On me trouve parfois désarmante de franchise... Ce quiest sûr c’est que je m’attache à ce que chaque soir, si tout venait à s’arreter dans la nuit pour l’un de mes proches ou pour moi... je n’aurais plus jamais à me dire que je n’ai pas pris le temps ou trouver le moment de lui dire a quel point je l’aime.
Et chaque soir, oui je dis bien chaque soir... Je remercie la Vie pour la journée de plus entourée de tous ceux que j’aime qu’elle vient de m’offrir.


Alors si j’ai un conseil à donner à tous ceux qui se retrouvent confrontés à l’accompagnement d’un enfant qui a perdu un parent soudainement ce serait de sans cesse prendre le temps de rassurer l’enfant... pas les premiers jours, ni les premiers mois, tout le temps.
En privant de la sorte un enfant de l’un de ses parents on le marque au fer rouge, à jamais...
Et l’adulte qu’il deviendra aura sans cesse besoin d’être rassuré lui aussi..
Rassuré sur l’amour de ses proches, rassurés sur des détails techniques aussi cons que “ce qu’il deviendrait si le parent restant venait à disparaître à son tour”...
il est important d’établir le dialogue et de bien comprendre les angoisses qui lui sont propres...
Et de les accepter parce qu’elles feront à jamais partie de lui.





5 commentaires:

Aurélie a dit…

Les larmes qui roulent devant un article aussi poignant
Chapeau Madame Sophie

Loulie a dit…

Bonjour,
Merci pour ce bouleversant témoignage.
Merci de nous rappeler aussi que la vie ne tient à rien souvent. Nos vies à mille à l'heure nous font vite oublier que nous sommes fragiles, que la vie défile et que demain le pire peut arriver. Nous avons la tête dans le guidon en occultant "l'impensable".
La perte d'une personne proche est un rappel assourdissant à notre condition humaine...
Merci et que la vie vous soit plus douce.

Olivier a dit…

Bon,c'est bizarrre, tu ne mets plus mes commentaires Fofie?

Olivier

Anonyme a dit…

Bonjour,

Je découvre ton blog au hasard de mes pérégrinations sur le web (en cherchant "graines de courge, bienfaits..." et je tombe ensuite sur cet article...
Mes filles ont perdu leur papa, comme toi, il y a vingt ans maintenant, alors qu'elles étaient âgées de 10 et 5 ans et ton témoignage éclaire d'un jour nouveau certains comportement qu'elles ont eu et qu'elles ont encore parfois (malgré la psychothérapie qui a suivi) et aussi certains des miens, en tant que jeune veuve (à l'époque...). Le partage du ressenti a toujours été ouvert avec mes enfants, mais ce que tu as écrit va nous permettre d'approfondir certaines choses que nous n'arrivions pas à cerner.
Merci pour ça.
Margot.

Maylis a dit…

Coucou Sophie

Un long moment depuis tes derniers articles... Je pense souvent à vous tous et espère simplement que tout va bien dans le ch'nord pour vous.
Des bisous des montagnes!
Maylis