J'ai grandi dans le centre ville de Lille. Il y a 30 ans les centres commerciaux intra-muros n'existaient pas encore et il fallait à l'époque sortir des villes, parcourir une quinzaine de kilomètres pour atteindre les grandes zones commerciales aux enseignes démesurées...
N'ayant pas trop les moyens, nous ne faisions nos courses à Auchan que pour les grandes occasions car même si les prix étaient légèrement moins chers (à l'époque les prix n'étaient pas cassés comme aujourd'hui dans la grande distribution) , il fallait faire la route et surtout les tentations et "écarts de liste rigoureuse" étaient bien plus nombreux... Du coup nous n'y allions que quelques fois par an : Noël, Pâques, la rentrée scolaire... Et chaque fois c'était à mes yeux une sortie exceptionnelle qui avait comme un air de fête parce que c'était l'occasion d'acheter un ou deux extras à choisir dans des rayons de friandises mesurant 10 fois la taille de ceux que nous fréquentions d'ordinaire, et puis c'était aussi l'occasion d'acheter un paquet de corn-flakes pour le petit déjeuner qui remplacerait quelques jours la tartine de beurre.
Le reste de l'année nous faisions nos courses dans les supermarchés de la ville tels que Prisunic, Miniper, Cédico et Shopi qui aujourd'hui correspondraient à peine à des "Carrefour market" voire "Carrefour city" au niveau superficie et largeur d'offre...
Ces supermarchés étaient tous fermés le dimanche et le lundi et baissaient leur rideau de fer à 19h dernier délai.
Alors quand il nous manquait quelque chose le soir ou le dimanche et lundi, nous avions tous le même réflexe : L'arabe du coin !!!
Vous savez ces petites épiceries qui mesuraient souvent moins de 20 mètres carrés et dans lesquelles, par je ne sais quel miracle, on trouvait parfois plus de produits divers et variés que dans un supermarché mesurant 10 fois sa taille.
Comme leur nom l'indique, ces superettes étaient toujours tenues par des arabes, allez savoir pourquoi... Et effectivement, toutes celles que j'aie connues étaient situées sur un coin de rue !!!
Ce qui m'échappait enfant c'était pourquoi aucune d'entre elle n'assumait sur son enseigne "L'arabe du Coin" et toutes lui préféraient le même nom sans la moindre originalité : Alimentation générale!
A la maison j'étais toujours volontaire pour aller y faire les courses, d'abord parce que je me sentais grande et importante à me promener seule dans les rues de la grande ville pour aller faire mes courses; aussi parce que souvent le dimanche la ville était particulièrement déserte et que j'adorais le contraste avec l'émulation de la veille mais surtout, surtout parce que j'étais fascinée par ces petites échoppes ou sur la même étagère la confiture pouvait cotoyer, les croquettes pour chien et les protection périodiques...
Chez l'arabe du coin, tu croisais aussi bien la mère de famille descendue en urgence de chez elle en tablier de cuisine pour dénicher la fécule de maïs qui manque à sa sauce du dimanche que le vieil ivrogne venu chercher son cubi de vin, ou devrais-je écrire de piquette parce que ses provisions pour le week-end s'avèrent insuffisantes...
Si tu y allais le soir , il y avait aussi les jeunes venus faire le plein d'alcool avant leur soiree de fête en espérant que le commerçant etranger serait moins regardant sur leur carte d'identité que le supermarché voisin...
Et puis il y avait moi...
J'aimais arriver dans la boutique alors qu'elle était déserte et surprendre le vendeur en haut de son vieil escabeau de bois pour ranger et ajuster ses étagères jusqu'aux dernières centimètres de hauteur exploitable...
Je m'amusais à essayer de deviner la couleur des murs derrière les milliers d'articles empilés et soigneusement rangés dans une logique qui n'appartenait qu'au propriétaire des lieux.
J'adorais les parfums d'épices orientales et grimaçais en passant devant les grandes bassines remplies d'olives vertes ou noires dont raffolait pourtant mon papa...
Je m'émerveillais devant les pyramides de fruits et légumes colorés et étais toujours tentée de prendre une orange ou une pomme tout à la base pour voir ce qui se passerait...
Je m'imaginais déjà détaler en courant après l'effondrement des fruits sur le trottoir sous les cri du commerçant qui sortirait en agitant son torchon comme dans les vieux films...
Mais je ne pouvais pas faire celà car je prenais bien trop de plaisir à y revenir encore et encore.
Souvent, j'y allais pour un ou deux articles maximum car les prix étaient tout de même particulièrement chers et je souriais en constatant qu'il vendait des pâtes Cora à coté de riz Auchan, je l'imaginais alors dévalisant le supermarché voisin aux heures de bureau pour tout réétiqueter avec 3 ou 5 francs de plus et les revendre le soir et la nuit aux étourdis du jour...
Souvent, j'y allais pour un ou deux articles maximum car les prix étaient tout de même particulièrement chers et je souriais en constatant qu'il vendait des pâtes Cora à coté de riz Auchan, je l'imaginais alors dévalisant le supermarché voisin aux heures de bureau pour tout réétiqueter avec 3 ou 5 francs de plus et les revendre le soir et la nuit aux étourdis du jour...
L'arabe du coin ne parlait pas très bien le Français et il n'était pas rare de l'entendre papoter avec ses clients de même origine dans leur langue natale près du comptoir sous les rubans de papier tue mouche agités par le ventilateur...
Je me souviens de son large sourire et de sa manière de me rendre ma monnaie avec cette façon qu'il avait d'avaler les "r "et les "d" genre "Méci Mamoiselle"...
Mais ce que je préférais chez l'arabe du coin, c'était son congélateur en forme de bac, vitré sur le dessus, calé entre les sacs en papier de charbon de bois pour le barbecue, les bouteilles de bière pélican avec le bouchon à visser et les packs d'eau vendus au prix du vin (qui lui était vendu à prix d'or!)... L'arabe du coin était le seul du quartier à vendre une de mes gourmandises estivales préférées à un prix étonnement raisonnable : Le Mister Freeze !!!
Normalement il était le seul autorisé à ouvrir son congélateur sur lequel il avait collé un papier mentionnant notre interdiction et expliquait à qui voulait l'entendre que personne ne refermait jamais bien la vitre alors que maintenant il s'en chargeait, mais il me laissait le privilège de choisir moi même le parfum de mon glaçon friandise même si il savait que ce serait toujours soit les bleus, soit ceux au coca !
Lorsque j'ai quitté la ville il y a 20 ans, je n'ai plus retrouvé d'Arabe du coin dans mon nouveau villach'... Il y a bien eu une Alimentation générale qui a ouvert quelques temps, mais elle n'était ni sur un coin, ni tenue par un arabe mais par des asiatiques... et ils n'avaient pas l'art et la manière de rentabiliser une surface commerciale comme leurs homologues de ma jeunesse, sans doute pour tout celà qu'ils ont rapidement mis la clef sous la porte malgré nos petits achats solidaires...
Après je crois que ce sont aussi et surtout toutes ces nouvelles mini-superettes façon carrefour city, ouvertes jusque minuit parfois, qui ont poussé ces petites enseignes chaleureuses et familiales à mettre la clef sous la porte les unes après les autres...
C'est en lisant un article dans le monde sur leur extinction que sont remontés tous ces souvenirs bien enfouis dans ma mémoire et que j'avais envie de partager avec vous en espérant vous avoir emporté dans une partie de ma tendre enfance.